Jeudi 26 novembre, vêtu de rouge à lèvres et de son manteau noir, Nez Bavard se rend au 15 square de Vergennes, Paris 15e.
Serge Lutens a en effet choisi cet endroit comme lieu de présentation pour sa nouvelle création : L’eau Serge Lutens. Construit en 1932, c’était, à l’origine, l’atelier du Maître verrier Louis Barillet. Le bâtiment, qui fut repris par Yvon Poullain par la suite, est aujourd’hui ouvert au public : on peut venir y admirer un fonds permanent d’œuvres de l’artiste Yonel Lebovici, mais aussi visiter un espace dédié à des expositions éphémères…
Le lieu explique le parfum. Ou plutôt l’inverse, je ne sais pas trop. Mais pour ma part, je n’ai réellement compris cette nouvelle création qu’après avoir visité l’espace réservé à l’artiste sculpteur Yonel Lebovici. On peut y voir un certain nombre de pièces portant sur la démesure et le détournement d’objets du quotidien, l’ensemble n’étant pas dénué d’humour. Vous trouverez notamment une pince à linge (Pince à Linge, 1978) de 2 mètres de haut, une lampe torche Maxi (Maxi, 1978) de 65 cm sur 15 qui fait de la vraie lumière, ou encore une pince à documents réarrangée en fauteuil à bascule (Pince sans rire, 1986). C’est cette option du gigantisme qui semble avoir été choisie par Serge Lutens pour cette fragrance : la composition reprend dans sa construction un élément du quotidien, et l’amplifie dans des proportions inhabituelles de façon à en modifier la perception…
Ici, on parle de l’odeur du propre. Dans notre quotidien de tous les jours, qu’est-ce-que le propre ? C’est quelque chose de lavé et de parfumé. Aujourd’hui, le propre ne se dissocie plus de cette dimension « parfumée » qui est utilisée pour accentuer la sensation, et pour rejeter ou masquer les odeurs organiques naturelles (voir ici). C’est à cette intrusion excessive du parfum dans tous les recoins du quotidien qu’a voulu réagir Serge Lutens :
« Cette Eau est une réaction, une action, une volonté : être propre, trancher avec la fausse odeur qui règne sur tout. »
A l’image des oeuvres de l’artiste exposé au 15 square de Vergennes, l’Eau Serge Lutens accentue, exagère, amplifie l’idée du propre . Ce que l’on a l’habitude de sentir lorsque l’on sort de la douche et que l’on passe une chemise propre est gonflé pour devenir un géant, qui vient souligner l’absurdité de ce monde hyper-propre et hyper-hygiénique. Alors, quitte à vouloir sentir bon le propre, autant ne pas y aller de main morte et porter un parfum qui sent la lessive. Attention cependant, il ne s’agit pas d’un simple fantôme de votre Ariel préféré, la composition est plus élaborée. Car cette eau est un concept, une non-odeur : c’est l’agrandissement de l’odeur du linge propre sur la peau, ou de la peau en sortant de la douche. Cet anti-parfum n’a plus vocation à parfumer, et atteint le stade de l’hyper-fonction : vous plonger dans une idée, dans l’univers de la chemise blanche. L’accueillir comme un parfum serait une erreur, car cette eau n’a pas été conçue comme un parfum et n’en est pas un. L’Eau Serge Lutens sonne pour moi comme un pied de nez, un rire ironique large et bruyant envoyé à ce monde parfaitement propre, toujours frais, toujours parfumé, ayant perdu un rapport naturel avec lui-même. L’énormité et l’absurdité de la chose sont là pour nous faire prendre conscience de la dérive et nous rappeler le vrai plaisir du parfum : » Un anti-parfum, non pas celui qui s’y substitue mais celui qui en redonne le goût « .
Dans la collection actuelle, c’est un ovni… Un virage à 180° que l’on attendait pas, mais qui pouvait se laisser deviner peut-être avec un Nuit de Cellophane qui tranchait déjà avec l’univers familier de la maison. C’est une ouverture, le début d’un chemin différent de ceux déjà explorés et qui montre peut-être l’envie de se renouveler et de découvrir de nouvelles choses et de nouveaux lieux. Cela n’a pas été affirmé, mais il est plus que probable que l’Eau Serge Lutens soit la première d’une (longue ?) série.
Et donc, que sent-elle cette eau ?
L’empreinte est résolument moderne et lumineuse, les sensations se rapprochent assez d’Essence de Narciso Rodriguez mais la construction de l’Eau accentue des éléments différents et prend une autre tournure. En tête, des aldéhydes, mais l’aspect savonneux est remplacé par l’impression de cristaux de soude, un côté crissant et très lumineux lié à un côté juteux et fruité. Pour ma part, la tête me fait invariablement penser à « Ô oui » de Lancôme, un parfum que j’ai longtemps porté jeune fille et qui rendait lui aussi une impression de fraîcheur et de propreté. Durant un moment, le parfum reste assez froid et distant, puis peu à peu, une sensation de confort s’installe, un métallisé cotonneux toujours très clair et aérien. L’odeur en elle-même reprend le thème de la lessive, un aspect savon-soude très présent avec une odeur terriblement musquée : des muscs blancs aux facettes cotonneuses, cristallines, métalliques, mais aussi fruitées. Il ne faut pas voir cette référence de façon péjorative, la lessive est représentée dans cette création, mais de manière idéale puisque l’on recherche l’odeur du propre, les aldéhydes et les muscs accentuent et appuient l’impression de clarté et de fraîcheur, si bien liée à la propreté. Bien que la maison communique sur un parfum majoritairement construit à partir d’ingrédients naturels, ce n’est pas la sensation qui s’en dégage. Passée la tête, l’évolution est relativement monocorde et laisse sur la peau une continuelle sensation de fraîchement lavée. C’est résolument une eau de confort, qui se mariera avec une envie de simplicité, comme un beau maquillage nude.
Je ne peux m’empêcher de trouver dans l’atmosphère et la présentation de cette eau, un univers très japonisant ayant la classe et l’élégance naturelle de la simplicité. Cette empreinte avait toujours été présente dans la présentation des flacons chez Serge Lutens, mais ici, c’est simple d’une autre manière…
L’Eau Serge Lutens, disponible à partir du mois de mars aux Salons du Palais Royal et à l’export. 100 ml / 100 €
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