Nez Bavard vous propose ce soir une étude comparative sur trois parfums à la tubéreuse. Je suis en effet devenue une grande amatrice de cette note depuis que j’ai découvert la Tubéreuse de l’Artisan Parfumeur (sortie en 1978). Envoûtée par son odeur captivante, chaude et presque vénéneuse, je ne voulais pas m’arrêter là. Alors j’ai cherché à connaître d’autres soliflores de tubéreuse. J’ai sélectionné deux autres jus : un chez Caron, un autre chez Maître Parfumeur et Gantier (sortie en 1988), qui ont eux aussi des tubéreuses dans leur gamme.
Par souci de simplification, je nommerai Tubéreuse A, le parfum de L’Artisan Parfumeur, Tubéreuse C, celui de Caron, et enfin Tubéreuse M, le jus de Maître Parfumeur et Gantier.
Ces trois parfums sont des soliflores, comme je l’ai expliqué dans le précédent billet sur la Tubéreuse A. Ce qui est très intéressant ici, c’est que l’on a une parfaite représentation de la subjectivité en parfumerie. Il s’agit de 3 interprétations bien distinctes d’une même matière première. Tubéreuse A et Tubéreuse M sont présentées à l’amateur chacune comme « quasiment pure », c’est à dire très proche de la note tubéreuse seule. Même si à la comparaison elles se ressemblent, la différence est perceptible. Tubéreuse C est un soliflore aussi, mais elle est nettement plus sophistiquée.
Une chose est sûre : cette note est somptueuse. Éclatante, vibrante, suave et animale. La tubéreuse est originaire du Mexique et aurait été introduite en Europe puis en Asie au XVIe siècle. Elle est cultivée aujourd’hui en Inde, mais on peut aussi la cultiver dans son jardin ou en pot (son bulbe ne fleuri qu’une fois). Elle est réputée pour renouveler ses particules odorantes jusqu’à 48h après avoir été cueillie, on imagine alors la force qu’elle peut donner aux parfums. J’ai pu me procurer un peu d’absolu de tubéreuse pour travailler avec. Dans les premiers instants, la note est humide, à la fois verte et terreuse, elle a la puissance et le côté vif de l’aldhéyde C11 (celle qui entre dans la composition de Chanel N°5) : Cette ouverture saillante est reprise dans la Tubéreuse de L’Artisan Parfumeur. Puis, au fur et à mesure, l’absolu se tourne vers un nouvel aspect, plus huileux, mais qui fait déjà plus penser à une fleur que la première impression. Il se termine sur une note dense et épaisse. Celle-ci a aussi un aspect légèrement fumé qui lui donne beaucoup de caractère : une fleur capiteuse, il ne fait aucun doute.
Des 3 jus, c’est Tubéreuse C qui a pris le parti le moins fleuri. Elle est gorgée de sève huileuse en tête, son odeur est verte, mais on a l’impression de voir jaune (lumineux). Son évolution tend fort vers ce côté un peu huileux, je dirai même pâteux, comme un fruit confit, ou une pâte de fruit. Mais elle n’a rien de sucré, elle est plutôt épicée même, et garde ce côté jusqu’au bout. La facette fleurie est presque absente, mais c’est peut-être chez Caron, que finalement la représentation est la plus fidèle à la note de base : saillante, prenante et chaude. Sur le fond, Tubéreuse C s’allonge, adopte une légère sensation de fumée très agréable. Si c’était une couleur, ce parfum serait un jaune soleil, intense et franc. Tout en gardant une impression d’épaisseur et de densité huileuse, la note devient vraiment très douce (mais non poudrée) et donne un merveilleux fini peau.
A la comparaison, Tubéreuse M est le plus fleuri. Il est plus délicat, mais toujours aussi dense, avec ce même aspect d’huile. L’impression de « pâte » a disparu, laissant place à un léger petit aspect sucré. La touche verte de la tubéreuse est bien présente en note de tête, mais pas de façon aussi mordante que chez Tubéreuse A. LaTubéreuse de Maître Parfumeur et Gantier est opulente mais plus fraîche que celle de Caron, si c’était un objet, ce serait un fauteuil style XVIIIe, car il développe un côté un peu boudoir : c’est le plus romantique des 3 parfums. L’aspect fumé de la tubéreuse pure est totalement absent, ainsi que dans Tubéreuse A. Sur le fond, je trouve que malheureusement Tubéreuse M finit par perdre son intensité fleurie par rapport aux deux autres.
La Tubéreuse de L’Artisan Parfumeur a une note de tête saisissante, elle a le côté mouillé vert sombre de la tubéreuse seule. L’aspect « gras-huileux » se trouve ici exploité sous la forme d’une sensation de crème très onctueuse, presque comme du beurre en pommade. Cela lui donne une grande profondeur, mais je trouve qu’elle est aussi scintillante. Elle me donne une très nette impression d’espace, comme si on la sentait dans un espace très vaste. Si c’était un endroit, ce serait les escaliers de l’Opéra Garnier à Paris, car Tubéreuse A est aussi baroque, excessive. C’est la plus généreuse des 3, elle donne à voir et à être sentie, comme une belle actrice.
Mon coeur balance entre Tubéreuse de Caron et Tubéreuse de L’Artisan Parfumeur. Ce sont réellement deux interprétations différentes de la note Polianthes Tuberosa, très réussies, mais qui ne s’adaptent pas à la même situation ni au même état d’esprit. Les deux sont denses, mais la composition de Caron est peut-être un poil plus feutrée, plus calme, sans perdre une once de force et de présence, elle est chaleureuse et enveloppante. C’est un parfum pour être très belle en intimité. L’Artisan Parfumeur nous propose une tubéreuse de sillage profond, étincelante et théâtrale. On l’aime dans les moments d’éclats, pour être royalement séduisante. Cette étude m’a définitivement rendue adepte de la tubéreuse dans les parfums : son odeur intense de plante charnelle et venimeuse m’a touchée, et ne me laissera plus en paix!
Sources : OsmoZ, Wikipédia, Bois de Jasmin
Commentaires récents