Hier, accompagnée d’une charmante acolyte droguée aux parfums comme moi, j’ai passé une après-midi frénétique à pschitter tout ce qui pouvait s’apparenter à un flacon de parfum. Souvent lorsque je sors pour aller sentir les nouveautés ou que je fais une ballade parfumée, je ne reviens pas forcément satisfaite, puisque sentir beaucoup de choses dans un laps de temps court n’est pas la meilleure façon d’approfondir chaque création. Mais il arrive (heureusement) parfois que certains alors sortent encore mieux du lot.
Je connaissais déjà Aimez-Moi depuis un petit moment avant de le re-sentir hier ; il m’intriguait, mais je n’avais jamais pris le temps de l’approfondir. Je savais juste que je le trouvais vraiment différent et même un peu bizarre. Comme souvent en pensant à Caron, je m’attendais à redécouvrir un parfum datant de plusieurs dizaines d’années voire un bon demi-siècle et j’ai presque été déçue lorsque j’ai appris qu’il datait de 1996. Ce parfum donne une impression de modernité assez saisissante, mais correspond tellement bien au patrimoine de Caron que je n’aurais pas été surprise qu’il soit plus vieux (il n’en aurait été que plus respectable). Il semblerait cependant qu’Aimez-moi se soit inspiré du plus ancien, N’Aimez Que Moi datant lui de 1916.
Composé par Dominique Ropion (auteur entre autres, de Kenzo Jungle L’Eléphant sorti lui aussi en 1996 et de Alien de Thierry Mugler), Aimez-Moi démarre sur une tête vraiment spéciale. A côté de la description officielle, je sens une sorte de jus de poire mentholé et laiteux. J’ai eu du mal à identifier cette forte impression de lait (que j’avais eue dès les premières fois) qui se poursuit longuement dans l’évolution du parfum et qui est créée finalement par une association héliotrope – violette – iris. J’avais l’habitude de sentir l’héliotrope lourde, un peu grasse (Héliotrope de L.T. Pivert) et surtout beaucoup plus poudrée (Eternity de Calvin Klein ou encore L’Heure Bleue de Guerlain). Elle est ici bien plus légère et fraîche (un aspect liquide) que dans d’autres compositions où elle est plus souvent employée pour apporter une note poudrée ou amandée assez compacte. Je ne l’avais d’abord pas décelée, car ici, le côté poudre d’amande est associé à la menthe en tête puis à un bouquet de fleurs en coeur : jasmin, rose, magnolia, violette, et enfin à un iris (racine) en fond. On a donc une héliotrope différente des autres, elle se fait plus liquide que crémeuse, plus douce que vraiment poudrée.
La violette m’a donné la même impression. J’ai l’habitude de dire que je n’aime pas la violette, car je lui trouve un côté affreusement daté quoique je fasse, c’est d’ailleurs pour cette raison que je n’apprécie pas Insolence de Guerlain. Il se trouve que dans Aimez-Moi, la violette n’a pas, elle non plus, ses attributs poudrés habituels : elle s’apparente plus ici à une violette cueillie au petit matin et qui porte encore sa rosée. Finalement, rien n’est conventionnel dans ce parfum, et c’est ce qui le rend tellement intéressant. L’héliotrope est fluide, la violette est fraîche, l’iris est travaillé sur le côté racine (et non poudré), le jasmin et la rose sont présents mais ne développent pas le côté fleuri capiteux d’un Joy de Patou. Le fond en aura fini de me convaincre. Le baume Tolu qui est ici utilisé développe une rondeur et une douceur vanillée proche du benjoin et de l’ambre mais de manière beaucoup plus subtile. Il apporte la petite touche sucrée du parfum, comme un sirop.
Chaque facette de chaque matière a été travaillée de façon à ce que la matière en question soit reconnue tout en s’appliquant à créer une sensation fraîche (qui ne veut pas dire légère ou volatile). Il reste que finalement, le côté poudré existe puisque les ingrédients utilisés ont naturellement cet aspect, mais il n’est pas exploité dans Aimez-Moi. Cela s’apparente presque à du détournement de matière première, parce que tous les éléments cités sont reconnaissables mais font démentir tous les lieux communs qui existent à leur sujet. C’est à mon avis ce qui le rend si moderne et si étonnant. C’est la première fois que je crois déceler la volonté ou l’idée qu’a voulu développer un parfumeur dans une création. Il pourrait parfaitement convenir à une jeune fille, mais il n’a rien non plus de spécialement jeune ou guilleret, c’est simplement un parfum unique. Il s’apparente pour moi à la catégorie des parfums addictifs, mais pas du tout dans le sens des parfums puissants souvent régressifs comme le Dior Addict ou le Lolita Lempicka. Il est addictif parce qu’on a envie de le porter, on a envie de sentir (comme) Aimez-Moi, plus que d’avoir besoin de sa dose pour être rassurée et calmée. A la fin de la journée, on le sent très bien, mais il sent la peau. Une peau un peu sucrée et laiteuse qui ne demande qu’a être embrassée.
La redécouverte de ce parfum m’a rappellé, à moi et à la personne qui m’accompagnait hier, à quel point le patrimoine de la maison Caron était essentiel pour la parfumerie française et la parfumerie en général. Malgré les reformulations dont on a beaucoup parlé sur les blogs, les parfums Caron restent des parfums qu’il faut connaître, car ils ont marqué leur époque et ont, au même titre que Guerlain, écrit une page de l’Histoire de la Parfumerie. Malheureusement, la marque semble empâtée dans un univers figé qui ne sait comment évoluer et quel chemin prendre pour changer et se mettre au goût du jour. L’idée n’est pas de se mettre à sortir des flankers et des nouveaux jus à tour de bras comme on le voit un peu chez Guerlain désormais, mais plutôt d’assurer à cette marque un avenir. Leur clientèle ne se renouvelle apparemment pas vraiment, et ce n’est pas étonnant, vu l’esthétique baroque des boutiques et l’aspect rétro-qui-a-mal-vieilli des packagings. En attendant de voir les choses évoluer dans un sens ou dans l’autre, je ne peux que vous encourager, chers lecteurs, à prendre le temps de découvrir leur gamme de parfums riche en classiques et surprises inattendues.
Notes : Bergamote, Anis étoilé, Menthe, Cardamome, Violette, Magnolia, Jasmin, Rose, Iris, Héliotrope, Baume Tolu, Vanille.
Photos par Arthur Fellig dit Weegee. Prise par infra-rouge au Palace Theater en 1943.
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